Barème Macron : la fronde s’organise
L’on se souvient de l’arrêt de la Cour d’appel de Rouen, qui, le 25 septembre 2019, il y a donc un peu plus d’un an maintenant, s’élevait le premier contre la « rigidité » (nous y reviendrons) du barème Macron, relevant au passage que « le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c’est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché ». L’affirmation n’est pas anodine et doit être soulignée, elle consacre en effet une analyse in concreto, analyse qui permet au juge de fixer lui-même les indemnités de licenciement du salarié lésé en s’affranchissant donc ni plus ni moins dudit barème et de prendre en compte la réalité du préjudice subi, pour reprendre une expression largement reprise depuis. Une réparation du préjudice proportionnelle au préjudice somme toute. Logique. Pas tant que cela.
Le barème Macron au cœur de la vindicte judiciaire
Pour mémoire, depuis l’entrée en vigueur des ordonnances dites Macron de 2017, les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont plafonnées et enfermées dans un barème qui ne prend en compte que deux critères : l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et la taille de celle-ci. À cette seule lecture, l’on comprend bien la rigidité, voire l’inadéquation d’un tel barème à la réalité du préjudice du salarié licencié abusivement, âge, charges de famille, état de santé, état du marché de l’emploi…. Pour exemple, si l’on rappelle que l’on compte ici en mois de salaires bruts, le premier chiffre correspondant à l’indemnité minimale et le second à l’indemnité maximale, un salarié ayant 1 an d’ancienneté recevra, encore une fois peu importe le préjudice subi, entre 1 mois et 2 mois de salaires en indemnités de licenciement, un licenciement jugé sans cause et réelle et sérieuse, pour une entreprise de plus de 11 salariés ; entre un demi mois et deux mois pour une entreprise de moins de onze salariés. L’indemnité minimale ne bougeant pas, pour les entreprises de plus de onze salariés, et restant figée à 3 mois, quelle que soit l’ancienneté du salarié, et s’échelonnant entre 2 et 20 mois pour l’indemnité maximale, 20 mois valant pour le salarié ayant trente ans d’ancienneté. Idem pour les entreprises de moins de 11 salariés.
L’appréciation in concreto nouveau fer de lance des juges du fond
C’est de ce contexte juridique, fixé à l’article L. 1235-3 du Code du travail, qu’est née la fronde. Faisant fi de ce baromètre, les juges du fond ont ainsi décidé de continuer à déterminer par eux-mêmes le montant des indemnités prud’homales dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Reims, Grenoble, Angoulême, Bobigny et maintenant Bourges, l’analyse concrète semble avoir le vent en poupe. Nous mettrons ici de côté la décision des juges parisiens plus ambiguë, évoquant juste l’idée d’une réparation adéquate.
Les critères entrant en jeu ? Ils dépendront logiquement de la situation propre à chaque salarié. Mais, classiquement, quelques « grands » critères se dessinent. Les juges prennent ainsi généralement en considération l’âge du salarié licencié, sa situation de famille, son état de santé aussi, mais pas seulement. L’arrêt du 6 novembre dernier, rendu par la Cour d’appel de Bourges, est à cet égard des plus révélateurs. Les juges ont en effet écarté l’application du barème Macron en tenant compte du critère classique de l’âge du salarié, mais en y ajoutant également ses recherches d’emploi et les tensions du marché actuel de l’emploi. Le raisonnement est dans un premier temps identique à celui des juges rouennais : « lorsqu’un licenciement est injustifié, le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché, en l’occurrence l’indemnisation intégrale du préjudice qu’il a subi ». Et de préciser par la suite : « Or, en l’espèce, il apparaît que M. B était âgé de 59 ans au jour de son licenciement et comptabilisait 5 années d’ancienneté au sein de l’entreprise. Il justifie d’un nombre impressionnant de recherches d’emploi demeurées vaines sans qu’il puisse lui être reproché de ne pas les avoir circonscrites à son domaine de compétences, la logistique. En effet, eu égard à son âge et au marché français de l’emploi, il était de son intérêt d’étendre ses recherches bien au-delà de son domaine principal de compétences. Il ne peut davantage lui être reproché la tardiveté de ses recherches puisque, sur la période d’octobre 2019 à juillet 2020, il justifie d’au moins 177 dépôts de candidatures ».
La décision est d’une logique implacable. La difficulté à retrouver un emploi, qui plus est eu égard au contexte de crise sanitaire, risque ainsi de devenir un critère essentiel dans l’appréciation concrète des juges du fond. Et le mode opératoire qu’est l’appréciation in concreto de trouver ici tout son sens.